< Retour aux articles

STRATÉGIE ET FINANCE, FRÈRES ENNEMIS ?

La stratégie de beaucoup de grandes entreprises a le plus souvent comme objectif la création de valeur.

Soit, mais qu’est-ce réellement créer de la valeur ? Eh bien, cela dépend du contexte.

Si vous êtes un entrepreneur stratège, la valeur d’une offre est le prix que vos clients sont prêts à payer pour l’obtenir.

LVMH a ainsi réussi à nous convaincre de payer 38 500 euros pour un sac Milla MM, alors que Dacia nous a fait accepter de payer 7 500 euros pour sa voiture Logan.

La stratégie consiste ainsi à créer de la valeur au-delà des coûts et cette valeur ajoutée est partagée entre les différentes parties prenantes de l’entreprise : les salariés, les clients, les actionnaires et l’État.

 

En revanche, si vous êtes un financier investisseur au capital des entreprises, le mot valeur a souvent un sens totalement différent.

Il s’agit de valeur actionnariale, et pour eux créer de la valeur c’est garantir aux actionnaires une rentabilité du capital supérieure à la moyenne.

Or, cette notion pose deux problèmes majeurs.

 

La première limite de la valeur actionnariale postule que l’entreprise a pour objectif l’enrichissement des actionnaires, ce qui n’est pas une notion économique.

Le rôle des entreprises, c’est de créer des richesses, afin de contribuer à la prospérité collective.

Rien ne suppose a priori que les actionnaires doivent truster ces richesses.

D’ailleurs au nom de quoi le feraient-ils ?

En effet, les actionnaires ne sont pas les propriétaires de l’entreprise.

Une entreprise est une personne morale, elle n’a pas de propriétaires.

Les actionnaires détiennent des actions qui leur donnent un droit de vote et le droit de percevoir des dividendes, mais ils ne possèdent pas l’entreprise.

Si vous êtes propriétaire d’un chien et qu’il mord un passant, vous êtes responsable des conséquences.

En revanche, si vous êtes actionnaire d’une entreprise et que par son activité elle pollue la rivière qui passe où elle se situe, vous n’êtes pas responsable : la seule conséquence pour vous est une probable érosion de votre investissement, la différence est considérable.

Le seul responsable est le dirigeant et, ou les membres de son équipe, pas les actionnaires.

 

La deuxième limite de la valeur actionnariale est technique : si vous demandez à tous les dirigeants de dégager une rentabilité supérieure à la moyenne de leur secteur, mécaniquement cette moyenne augmente.

On est ainsi passé d’une exigence de 7 % de retour sur capitaux investis, à 9, puis à 12, puis à 15, parfois 20 ! Une folie, une perversion de notre système économique.

En effet, dans la majeure partie des industries, il est impossible d’atteindre de tels niveaux de rentabilité.

De fait, bien des dirigeants de grandes entreprises, uniquement évalués, promus et rémunérés en fonction de leur capacité à créer de la valeur actionnariale, sont incités à manipuler cet indicateur, par exemple en cédant des actifs, en rachetant des actions ou en se lançant dans des opérations de fusions acquisitions trop risquées, toutes ces opérations étants très éloignées de l’objet social et in fine de leur mission.

La ressource financière mère de toutes les ressources car convertible, doit cependant être remise à sa juste place.

Elle a pour mission de trouver les capitaux nécessaires à une entreprise et de placer au mieux les excédents qu’elle dégage.

 

En aucun cas la finance ne doit se substituer à la stratégie, elle en fait partie ou plus précisément elle doit se mettre au service d’un projet économique et non l’inverse.

Je conclue ce post avec le fameux témoignage de Jack WELCH, ancien directeur général de General Electric, peu suspect d’être un pourfendeur de l’économie de marché.

Il déclarait en 2009 que  «  pour une entreprise le seul enrichissement des actionnaires et la valeur de son action, était stupide. » (Financial Times Mars 2009.)

Il a raison : il est urgent de nous débarrasser de cette idée stupide, avant qu’elle ne corrompe définitivement notre système économique.